Rio Tinto (journal d'une rivière)

Utilisant principalement la céramique dans mon travail actuellement, je me suis renseignée sur la provenance des oxydes métalliques que j’utilise dans mes émaux. Et je n’ai pas été déçue de mes recherches. En creusant, je me suis retrouvée face à des montagnes de puissance industrielle. 

Ayant seulement à cœur de comprendre ce que je manipule, je mettais le doigt sur les géants de l’extraction. Trop difficile de faire marche arrière et de retourner sagement à l’atelier je décidais, comme eux, de continuer de creuser.

Mon intérêt s’est porté vers le plus grand groupe minier du monde utilisant le nom d’une rivière au sud de l’Andalousie: Le Rio Tinto. Ce groupe possède de nombreuses filiales effectuant un chiffre d’affaire de plus de 63,5 milliards de dollars en 2021.

Projet en cours

Diverses représentations d’une rivière : littéraire, photographique, scientifique. Des récits multiples émergent de ces représentations.
L’analyse de l’eau, l’analyse des sols, l’analyse des métaux lourds présents dans l’eau et les sols.
Triste constat d’un paysage désolé. Fascination de l’horreur comme dans le film documentaire Leçons de Ténèbres de Werner Herzog, montrant des puits de pétrole en feu après le départ de l’armée irakienne au Koweït. Paysages désolés, tragiques et pourtant d’une beauté sans pareille accompagnés d’airs d’opéra. Le Rio Tinto m’évoque le même sentiment. Lorsque je montre des photos de mon premier voyage au bord de la rivière, j’entends des « Oh » et des « Woua ». L’esthétisme des images détournent le regard et l’origine plutôt morbide de cette beauté factice, créée par l’homme et ses dérives. L’industrie, la mine, l’exploitation pourraient revêtir un manteau de beauté pouvant résumer la complexité de notre espèce. Nous arrivons à trouver magnifique le résultat d’une destruction. C’est comme-ci nous trouvions magnifique les images radio de notre cancer où le cercueil en bois massif dans lequel nous serions enfermés vivants.
Les paradoxes de l’homme et ses mystères. Réussir à transformer l’horreur en magie.
Je ne peux m’empêcher de voir du sang qui coule entre ses berges andalouses. Le sang du passé et des ouvriers, le sang du vivant ayant déserté le lit de la rivière et le sang de notre civilisation que nous sommes en train de faire jaillir, comme l’ouverture d’une plaie béante criant vers la noyade. Le Rio Tinto cristallise et convoque tellement de choses. C’est ceci que j’aimerais développer dans un travail d’écriture. Rendre compte de ce que je pense voir. Parler de géants de l’exploitation ayant emprunté le nom d’un fleuve (la vie est un long fleuve tranquille ?) andalou. Compagnies et néo-colonies britanniques.
Se vêtir pour l’heure d’une blouse de scientifique, de chercheur, d’écrivain, de photographe, d’archiviste ?
Ce que l’on voit en images ou lisons en écrits.
Besoin de récits pour raconter l’ignoble appropriation des territoires et des imaginaires.
Trouver des représentations du paysage (cartographie à travers les siècles : qu’est-ce qu’on montre ?) 

Journal

« Si l’on y prête attention, l’eau qui s’écoule vers l’aval de toute rivière ou de tout fleuve est riche et grosse de tout ce qu’elle aura traversé. Lestée de leur histoire, elle déploie une succession de paysages. Elle les capitalise plus qu’elle ne les résume, enrichit de surcroît de l’apport successif et cumulé de ses affluents. » 

Martin de la Soudière – Arpenter le paysage